Chanal : le procès de « ratés » judiciaires (L'Union, Gilles Grandpierre, 2/12/2004)
La responsabilité de l'Etat est-elle engagée dans les « ratés » judiciaires qui ont émaillé l'interminable affaire des « disparus de Mourmelon » ?
Les familles des victimes présumées de Pierre Chanal demandent réparation.
« CHANAL, il nous embêtera jusqu'au bout », dit Gisèle Havet. A 72 ans, la maman de Serge Havet, l'une des dix victimes présumées de l'adjudant
Chanal, a fait le déplacement hier à Paris où la 1ère chambre civile du tribunal de grande instance examinait les plaintes déposées par les avocats des
familles contre l'Etat.
Conseil de Eroline O'Keefe, mère d'un auto-stoppeur irlandais retrouvé mort étranglé en 1987, Me Eric Dupont-Moretti assignait l'Etat pour « faute lourde »
et « dysfonctionnement du service public de la justice ». Pour neuf des autres parties civiles sept disparus de Mourmelon et deux militaires disparus en 75
et 77 du 30ème régiment de dragons de Valdahon -, Me Gérard Chemla et Vincent Durtette réclamaient des dommages et intérêts au nom du droit à un « procès équitable
dans un délai raisonnable ».
« Léthargie »
Le procès avorté de Pierre Chanal devait se tenir à Reims en octobre 2003, vingt-trois ans après la première disparition en 1980 à Mourmelon et quinze ans après
l'arrestation de l'adjudant en 1988 pour le viol d'un auto-stoppeur hongrois. L'accusé s'était donné la mort, le 15 octobre 2003, dans une chambre « sécurisée » de
l'hôpital Maison-Blanche de Reims.
Deux heures durant, les débats se sont souvent limités hier à de laborieuses passes d'armes procédurières. D'abord sur la forme du recours déposé par Mes Chemla et
Durtette. Plaidant « l'irrecevabilité » de la demande, Me Fabienne Delecroix, l'avocate de l'Agent judiciaire du Trésor, intervenant pour l'Etat, a estimé qu'il n'y
avait « pas de lien suffisant » entre les différentes procédures. « Les demandes des familles sont distinctes de celle de Mme O'Keefe et doivent être examinées au
cas par cas. Chaque victime a le droit d'avoir un examen spécifique de son dossier », a ajouté l'avocate qui a consenti à reconnaître des « dysfonctionnements, de
92 à 94, période où aucun acte n'avait été effectué ».
« S'il s'agit d'un puzzle, l'affaire Chanal constitue un seul dossier », a répliqué Me Durtette. « Depuis 1994, date de la jonction des dossiers, il n'y a eu qu'une
seule ordonnance de mise en accusation, les mêmes experts ont été diligentés, les juges ont travaillé en concertation sinon en parfaite coordination ».
Me Chemla a ensuite énuméré les « dysfonctionnements interdépendants qui ont nui à l'ensemble de la procédure : expertises discutables ou inutilisables, pertes de
scellés, négligences, lenteurs, mésentente entre juges d'instruction. ».
Pour Trévor O'Keefe, la plaidoirie de Me Eric Dupont-Moretti a dénoncé les mêmes « errements ».
« Dès 1989, les enquêteurs disposaient d'indices permettant de mettre Chanal en prison, mais il a fallu attendre 1994. Entre ces deux dates, le dossier a été frappé
d'une totale léthargie », a t-il asséné, rappelant que les parties civiles avaient, elles-mêmes, « relancé la machine judiciaire en écrivant au parquet en 1994 ».
Autant de « fautes lourdes », selon l'avocat qui a aussi rappelé que l'ordonnance de mise en accusation de Chanal avait stigmatisé les « insuffisances du juge
d'instruction de Saint-Quentin » en charge du dossier au début des années 1990.
Pour les familles des disparus, Me Chemla et Durtette, détenteurs de 35 assignations, ont réclamé 25.000 € de dommages et intérêts par personne.
Pour Mme O'Keefe, Me Dupont-Moretti a demandé 152.000 € au titre du préjudice moral. Réponse du tribunal le 26 janvier.
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